Le site officiel Jazz in Marciac https://www.jazzinmarciac.com
Texte : ©Annie Robert
Photos ©Fatiha Berrak
Marciac (France)













Que voilà donc une idée intéressante et un peu folle …
Réunir quatre pianistes de jazz pour un concert. Cela fait rêver. Huit mains, quarante doigts, quatre têtes, quatre expériences … des possibilités énormes, un son énorme également.
Mais est-ce si évident que cela de jouer à quatre? Et que craindre d’un tel attellage?
Un concours d’ego, une avalanches de notes et d’impros, un exercice de démonstration? Trop de tout peut être?
Autre écueil possible, une retenue totale pour ne pas «déranger» les autres qui amènerait un propos un peu mièvre, un peu standardisé et sans beaucoup d’intérêt. Trop de rien en somme…
Mais lorsque l’on connait ces quatre pianistes, leurs habitudes de partager la scène avec de nombreux musiciens, leurs envies renouvelées d’échanges, leur ouverture à tous les styles et leurs qualités respectives (quatre Victoires du Jazz quand même!) on est vite rassurés. Tous sont des leaders d’une part, d’excellents accompagnateurs d’autres part et des aventuriers tous terrains.
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Ils ont fait de plus un choix intéressant au niveau des claviers: deux pianos à queue, deux Fender- Rhodes et du coup deux sonorités différentes avec un éventail des possibles élargi : la ferveur de l’acoustique et le son vibré du Fender. Pierre de Bethmann, Eric Legnini, Bojan Z et Baptiste Trotignon ont soigneusement pensé et préparé leur projet pour leur plaisir et pour le nôtre.
Ils auraient pu commencer en rafales sonores, en tempête de notes, en éblouissantes galopades, histoire de cueillir le public à l’estomac.
Mais non, ils ont choisi un morceau retenu «La lenteur» de Pierre de Bethmann dans lequel ils vont poser les principes de ce concert: connivence, échange, motifs clairs qui circulent de l’un à l’autre, respect du soliste sans pour autant restreindre les envies et les folies de chacun. Une liberté qui alterne thème mélodique ou dynamique rythmique.
Ils vont jouer parfois à deux, parfois à quatre. Ca se parle, se répond, s’interroge, se soutient.
Un morceau d’Éric Legnini intitulé «Bora Bora» suivra, vibrant et inventif.
Puis un autre de Baptiste Trotignon «Moods» où il prenda le lead. Tout reste juste et évident. Rien n’est en trop. Et quelle complicité permanente!
Un vieux morceau de Charlie Parker se voit ensuite joyeusement destructuré, passant de l’un à l’autre chantant. un groove magistral. Cela fourmille de petites digressions et d’ a-côtés.
Le jeu des chaises musicales se poursuit.
A deux (Trotignon / Bojan Z) pour «Ritratto in bianco e nero» de Carlos Jobim, le maitre de la bossa, puis encore à deux (Legnini/ de Bethmann) pour «Chorinho» un morceau plus classique de Lyle Mays. A chaque fois, le duo est riche de texture et d’écoute, la mélodie se faufile, affleure, glisse d’un piano à l’autre comme un voile souple. On suit de l’oreile et du regard ces échanges. Tout va de soi. Les fins sont fines et précises.
On retrouve ensuite tout le style percutant de Bojan Z dans «Seeds» un morceau de sa composition. Et c’est aussi ce qui est passionnant dans ce quatuor. Chacun reste lui même, reconnaissable dans son style et sa façon de jouer mais toujours avec les autres. Les ornementations de chacun s’incluent comme des tesselles de poteries dans une céramique, chaque petit morceau éclatant ou plus sage réhaussant la beauté des autres.
Le célébrissime «Caravan» de Duke Ellington servira de trame à un final échevelé où chacun va s’en donner à cœur joie.Une délicieuse folie, transfigurée, courant à perdre haleine, audacieuse et délurée.
Bien sûr le public ne s’y est pas trompé, debout il en redemande….
Pour le rappel, une incongruité formidable, le si célèbre morceau de Queen « We are the champions » où l’on retrouvera à la fois l’hymne et son martélement et le jazz en chaloupé décalé. Trouver du groove là dedans n’était pas simple et ils l’ont trouvé pourtant.
Deuxième rappel sur un morceau brésilien doux et caressant.
Loin de la standardisation ou du coup médiatique (et financier par la même occasion) il y a un sentiment réconfortant à écouter ce combo ébouriffant, avec son travail remarquable. Le sentiment de se trouver au centre d’une création, re-cration véritable, collective et sans compétitions stériles.
Pianoforte, très, très forte !!