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Texte : ©Annie Robert

Photos ©Thierry Dubuc : http://thierrydubucphotographe.zenfolio.com

Marciac (France)

Hors temps
Avec Edward Perraud et son trio, j’atteins la limite de ce que peut la chronique… comment exprimer avec des mots ce qui a été entendu, senti, perçu. Comment partager avec d’autres ce qui a subjugué, capté, envoûte et laissé justement sans voix et sans mots….?
Mais je ne suis pas à une contradiction de plus…

Edward Perraud est un des grands drummers actuels, on le sait. Il a à son actif une cinquantaine de disques sur des labels du monde entier et a partagé la scène avec de très nombreux musiciens. Il est le batteur de l’incroyable trio Das Kapital que personne ne peut oublier après l’avoir écouté.
Ce concert là, on l’espère, on l’attend avec curiosité. On connaît toute la valeur du bonhomme. Hors pair.
Son dernier album « Hors temps » en est le support :  joli pied de nez, joli paradoxe pour un batteur, faute suprême pour un faiseur de rythme.
Mais ce n’est pas dans ce registre là qu’il faut chercher ce Hors temps… mais plutôt dans l’intemporel, dans la chimie constante, dans l’alchimie revendiquée au cœur des cultures humaines de tous temps, de tous lieux. Un moment qui relève du voyage où le temps justement n’a plus beaucoup d’importance. 

« Voici comment je m’imaginais, avec mes mots, la musique que je souhaitais inventer : composer une musique à fleur de peau, méta sensuelle, une musique d’amour éternel, infini, un amour que l’on ressent au cœur de la nature et de l’art des humains, sans pour autant toujours en comprendre les sources. » 

Le concert  ouvre avec « Hors sol » Après un début tout en douceur, une  ligne souple jouée au piano comme en suspension, et une batterie caressante se profile une atmosphère aérienne, avec un minimalisme recherché puis ensuite un foisonnement digne d’un blob qui s’étale et grandit puis rétrécit au gré de l’avancée mélodique.
Les accords jazz et le groove sont là, bien présents en arrière plan, ils soutiennent et se faufilent au milieu d’excroissances modernes et de petites coutures classiques en un mélange équilibré qui semble évident. 

Avec « Hors piste », on change de décor musical  « le docteur Schweitzer jouant  Bach… » dixit.
Le piano de Bruno Angeli décline des variations auxquelles répondent des rythmes tribaux , clochettes et coquillages, cris d’animaux sous la peaux des tambours, accompagné par la contrebasse aventureuse d’ Arnault Cuisinier avec son  beau jeu d’archet. La précision de chacun n’enlève rien à l’émotion ressentie. On se laisse emporter sans combattre, sans réticence à la fois par l’énergie déployée et par la retenue de certains moments. C’est doux, c’est fou, c’est captivant.

Sur « Flower of skin », fleur de peau, peur de flot… on retrouve une batterie expressive, un piano pourvoyeur de mélodies, et la recherche de contrastes étonnants mais jamais artificiels.
Sur le 4° morceau « Hors la loi », c’est la contrebasse qui lance le jeu, pour un moment vif, rempli de silence et de ruptures comme une musique de film. Les images jaillissent de toutes parts et l’émotion avec elles.
La salle est bouleversée et l’attention palpable.  


Il faut souligner que chaque musicien a sa part dans ce jeu, l’espace et le temps nécessaire (les morceaux sont longs et développés) pour s’exprimer sans que ce soit un exercice de style obligé comme on en entend parfois. Cela arrive au bon moment. Toujours.
Bruno Angelini au piano est judicieux que le tempo soit romantique ou percutant, rageur ou solaire. Arnaud Cuisinier est un contrebassiste inspiré qui ne se contente pas de tenir la rythmique mais prend une part active au jeu du trio en s’offrant certaines libertés.

Quant à Edward Perraud, il est le pivot du trio, son brio n’est plus à décrire. Et sa créativité est permanente, un mélange de style et d’influences qui loin de faire foutoir, crée une véritable singularité, un véritable son. D’ailleurs le solo batterie qu’il nous proposera, dans le 5° morceau comme une petite musique de bruits et de clochettes surmontée d’envolées furieuses sera rempli d’humour et de recul.
Un show en forme de clin d’œil.

Le rappel se fera sur « Firmament », avec un subtil travail aux cymbales. C’est une évocation tendre, avec une belle base de contrebasse puis des accents de révoltes et d’incongruité avec un piano triste de bout en bout et un final colérique.  Un hommage à un ami défunt, à l’absence, à la révolte et à l’affection.

Tout ce concert est hors circuit, hors format, hors champ. Tour à tour exubérant ou plein de retenue, il  joue avec l’énergie et se déploie en dehors du temps et de l’espace.
Diablement vivant, diablement évocateur, c’est le résultat d’une belle osmose entre trois musiciens magnifique et une pensée hors catégorie.

On en ressort bonifié, revivifié, mélancolique et heureux, remué et chancelant.

Bon je n’ai plus trop les mots. Du coup il n’y a plus qu’une solution: allez écouter par soi même!!!